Ce que l’on sait de la cartographie de Milia Facia en son ensemble.

Pour faire simple, il aurait été facile pour l’archiviste que je suis d’aller dans le Bloc universitaire d’Esphir, longer les couloirs dont les murs sont plaqués de bois luisant de cette cire odorante provenant de la cité d’Alousir, pour déboucher directement dans le secteur des cartographes.


Oui, il aurait été aisé de dérouler sous vos yeux la carte de Milia Facia. Mais malgré les labeurs acharnés de multiples cartographes comme les renommées Eugène ou Aijin, l’exactitude d’une telle carte est rare et il est très difficile de s’en procurer une. Entre-nous soit dit, les cartes varient encore trop entre elles dans le détail pour savoir réellement laquelle est vraiment la plus exacte.


Je préfère alors aborder la situation sous un autre angle pour me tourner vers un élève de cette faculté, un peu plus haut citée, pour qu’il puisse vous partager ce que lui a entendu, et ce qu’il a appris en classe.


Au moment où j’allais le rencontrer, c’était ce que les étudiants appelaient : l’heure de manger sur le pouce.


La Tour Horloge de l’université venait de sonner la mi-journée. Les cours se trouvaient suspendus pendant un bref laps de temps donnant l’occasion aux élèves de grignoter quelques fruits ou, pour les plus gourmands et chanceux, une boulange du père Lapifoert.


Un élève, d’environ quatorze ans, remontait l’une des allées pavées de faïences vertes et blanches du jardin de l’université. Il portait sur sa tête un énorme chapeau. Lui et moi, nous avions rendez-vous en ce lieu bucolique.


Il faisait bon. Le vent du sud nommé Iped caressait doucement la cime des quendas résineux taillés en fuseau. Des insectes butinaient en fredonnant les multiples plantes, fraichement épanouies, poussant à l’intérieur de carrés de buis à la coupe rase. Placées à chaque croisement, des fontaines au liquide ruisselant alimentaient savamment des miroirs d’eau aux reflets magnifiques.


Des rires fusaient. Des élèves se taquinaient, ici et là. Certains flirtaient. D’autres débattaient de leurs derniers cours ou rattrapaient un devoir en copiant le travail d’un ami.


Il y avait, à cette heure, tellement de gens, tellement de représentants de cultures si différentes et pourtant, l’ambiance en ce lieu était si bon enfant, si paisible, si ouverte à l’autre.


L’étudiant que j’attendais et que j’avais vu venir se dressa devant moi. Ôtant son chapeau, il me salua.


Afin de ne pas lui prendre trop de temps sur sa pause déjeuner, je rentra directement dans le vif du sujet en lui demandant de nous réciter un de ses anciens cours qui avait pour eu pour introduction la cartographie de Milia Facia.


L’élève, portant le nom de Yussouf, accepta en précisant que le professeur qui avait tenu ce cours était le Grand Clerc Aësmi, à la réputation très professionnelle, mais aussi atypique. Et qu’il l’avait professé, il y avait quelques mois de cela. Ceci étant dit, Yussouf déclara :


« Le professeur Aësmi venait d’accrocher des cartes les unes sur les autres au tableau . Pour débuter, il nous montra celle qui représentait deux continents. Pointant celui de gauche, il annonça :


– Voici Milia. Et voici Facia. Le Grand Clerc avait indiqué un second continent, aussi gigantesque que le premier qui se présentait à droite de la carte.


– Milia Facia, notre monde, avait exposé le Grand Clerc avec un air cérémonieux dans la voix. »


Yussouf me faisait part d’un temps de pause qu’avait pris le Grand Clerc Aësmi. Il supposa que le professeur devait surement attendre une réaction de la part de ses étudiants, car l’existence de Facia, le second continent, soulevait régulièrement des polémiques. Il fallait savoir que beaucoup d’universitaires mettaient en doute la présence de Facia, le reléguant souvent à l’état de légende. Pire, même les cartographes officiels de Savoriur se demandaient comment on était arrivé à définir la forme de celui-ci. Ce qui n’empêcha pas certains d’entre eux de vouloir le découvrir à l’image de l’expédition menée par l’ancienne cartographe Amaraë.


Secouant discrètement la tête, je m’obligeais à sortir de mes réflexions pour revenir au sujet. Plissant un peu les yeux, je continuais à suivre la présentation du Grand Clerc, relatée par Yussouf :


«– Si l’on regarde l’ensemble de Milia et de Facia, avait dit le professeur Aësmi. Une personne observatrice peut déduire que ces deux continents ressemblent à deux croissants de terre s’enroulant l’un sur l’autre, un peu comme un cercle brisé en deux. »


Plus d’une fois, j’ai recueilli dans certaines légendes que notre monde se présentait, dans ses périodes antiques, comme un seul continent prenant la forme d’un cercle.


Toujours d’après des mythes aux origines inconnues, le continent unique fut divisé en deux. Comment ? La question n’a pas encore de réponse avérée. Certaines fables orales racontent que la destruction du monde connu fut provoquée par le combat de deux dragons gigantesques. L’un de ces mêmes dragons qui imposèrent sur la lune Xumérath, selon une vieille saga, la marque de sa patte.

Il y a une autre hypothèse, beaucoup plus récente, qui se développe dans l’université spécialisée en océanographie. C’est une histoire d’anomalie magnétique qui ferait bouger la surface de la terre. Je vous l’avoue, je ne comprends pas grand-chose à cela.


«– Mais oublions Facia pour l’instant, avait choisi le Grand Clerc, expliquait Yussouf en décrivant Aësmi décrochant la première carte qu’il laissa choir sur le parquet. La nouvelle carte qu’il nous présentait dessinait juste le continent Milia.


– Regardez, avait déclaré le Grand Clerc. Vu ainsi, Milia ressemble moins à un croissant, non ? Si l’on fait jouer notre imagination, on pourrait presque croire que les contours géographiques de notre continent crayonnent un dragon en train de se poser. »


Là encore, j’imagine quelques Maîtres cartographes se révolter à entendre pareille chose. Je suis toujours sidéré par la force de la création humaine. Elle a, en ce qui me concerne, cette faculté de pouvoir mettre des symboles ou de projeter ses inventions mythologiques afin d’apporter un semblant de compréhension à ce qui n’est pas explicite.


Je notais aussi que l’animal légendaire que représente le dragon est très présent dans les histoires perdues de notre monde.


Maintenant, de voir le continent Milia tel un dragon qui se pose est assez poétique tout de même.


Lors de mes réflexions, Yussouf était en train d’expliquer que le continent Milia était vaste, pour ne pas dire gigantesque. Et, qu’à priori, seul le bout de cette terre, qui ressemble, il est vrai, à la tête d’un dragon, serait habité par les populations que nous connaissons actuellement.


«– Notre professeur présenta une troisième carte, déclara Yussouf »


Elle traçait le bout de Milia, là où s’amassaient les Hommes. Le Grand Clerc avait alors dirigé son doigt d’est en ouest en nous exposant les différents cités, régions et lieux importants de cette carte.


Il est à noter, compléta Yussouf à mon attention, que ce coin de Milia est coupé en deux parties par une énorme chaine montagneuse nommée les Eternelles. Reprenant les dires de son professeur, il annonça :


– Là, tout à l’est, se trouve Mellor-an. »


Mellor-an, la cité nation du Seigneur Noir. C’est une ville porteuse d’une idéologie guerrière, destructrice. Un envahisseur né qui impose par la force ses façons de penser.


Rien que d’y songer, j’en frissonne.


«– Puis la contrée du Lac de la Genèse, continuait Yussouf en imitant de la main le gestuel de son professeur. Et les Vallons d’Evenguir. Voici plus au sud la Cité Maritime suivie de la grande chaîne montagneuse des Éternelles, qui borde le marais Glutathion et le Pays de Dry. »


Je ne suis jamais allé à l’est des Montagnes Eternelles et donc, je connais ces lieux et ces cités que par les dires des étudiants qui sont originaires de ces terres. J’en sais cependant un peu plus sur Evenguir, car j’ai été pour un temps l’assistant d’un cartographe venant de cette ville.


Je touche mon épaule. Une douleur fantôme me rappelle un souvenir pas si vieux que cela puis je me concentre de nouveau sur les dires de Yussouf.


« – Progressant à l’ouest des Montagnes Eternelles, le professeur Aësmi avait présenté les Territoires Forestiers sans Roi pour bifurquer un peu au sud afin de franchir les Terres Arides et passer la Frontière Creuse. »


Même si ces lieux sont encore bien loin de Savoriur, ils me sont toutefois plus communs.


« – Longeant toujours la carte, le doigt du professeur s’était alors arrêté sur l’Océan de Sable, cet énorme désert gouverné par l’Oasis Assagie, rivale d’Alousir, expliqua Yussouf en jetant un œil à la Tour Horloge. »


L’heure de son prochain cours arrivant à grands pas, il accéléra :


«– Bien au sud du désert s’imposent les Plaines Rocailleuses où vivent des géants. Plus à l’Ouest, nous pouvons trouver la Confédération des Tribus Libres. »


L’Océan des Sables est un lieu qui m’a toujours passionné. Au-delà de savoir qu’un véritable mer liquide serait peut-être en activité juste en dessous du désert, de côtoyer ces peuples fiers, au passé si riche et culturellement développé est pour moi une sincère source de bonheurs intellectuels.


«– Au sud des Tributs Libres, se dresse une montagne aux cimes arrondies : Belsadjel. Derrière elle, on peut y trouver Alpur, cette énorme agglomération a l’architecture méconnue longeant le fleuve Barhel. Au-delà, peu d’exploration y fut conduite. Il y a une forêt dense, humide, dangereuse que l’on nomme Mur Végétal. Yussouf reprend son souffle pour continuer :

– Les indications du Grand Clerc avaient remonté plein Nord, coupant le désert du bout de son index pour y sortir afin de buter contre la troisième chaîne montagneuse la plus importante de Milia : Les Hautes Frontières. Pour la traverser et arriver dans la région des Frontières Infranchies, il faut passer dans un canyon nommé Venchantant. C’était à cet instant que le Grand Clerc Aësmi présenta la contrée dirigée par Savoriur, notre belle chère cité. Il nous fit constater que notre pays était vaste possédant des frontières rectangulaires. Entourée de toute part par des massifs montagneux, sauf en ce qui concerne l’ouest. Il indiqua aussi que notre région détient de véritables contrastes géographiques et climatiques. »


Yussouf avait raison. Entre la région de la Pinède, les Baronnies viticoles, les Plaines Venteuses, les Steppes ou encore des Marches bordant les Montagnes Givrées, n’importe quel curieux pouvait constater la multitude de facettes que présentait les régions gouvernées par Savoriur.


Mais Yussouf avait omis une chose. Il n’avait pas parlé des Confins de l’Ouest. Je m’empressais donc de lui poser la question :


Le Grand Clerc a-t-il communiqué sur ce qui se trouve à l’ouest ?


Je sentis Yussouf hésiter.


Il faut dire que ce qui se situe à l’ouest perturbe l’entendement humain et peu ne pouvaient s’engager sur ce sujet de conversation.


«– Si, lâcha l’étudiant en soupirant. Il a dit qu’à l’ouest il n’y avait... rien. Véritablement, rien. »


À l’ouest... rien !


Comment pouvons-nous imaginer un endroit où il n’y a rien ?


Certains appelleraient cela un désert, une toundra, un erg, une hamada voire une savane. Pourtant, dans tous ces lieux, on y trouve quelque chose comme du sable, une rare végétation, quelques animaux.


Mais pas dans les Confins de l’Ouest. Car il faut vraiment imaginer... rien.


Je ne vais pas m’appesantir aujourd’hui sur le sujet, mais il faut bien comprendre que d’après quelques explorateurs, et plus particulièrement l’illustre maître- cartographe Aijin, qui ont foulé les Confins de l’Ouest, le Rien serait constitué d’un paysage blanc laiteux sans forme ni relief. Une sorte de vaste plaine interminable sans repère.


L’existence même des Confins de l’Ouest perturbent tellement la conscience des gens que beaucoup oublient d’en parler lors de leur présentation concernant Milia Facia. Étant rarement imposé sur une carte, c’est un lieu dont peu de personnes avisent et je trouve le professeur de Yussouf presque courageux d’avoir abordé le sujet.


Pour une première approche globale de la cartographie du monde, je pense que nous avons déjà fait un bon tour et j’espère que, grâce à cet article, vous aurez une première idée de la composition de Milia.


La Tour horloge sonne l’appel. Les cours allaient recommencer. Je remerciais Yussouf qui en profite pour remettre son chapeau sur la tête. En lui serrant les mains, je lui proposais de le rencontrer de nouveau afin de nous faire part des sujets qu’il étudiait. Il accepta avec plaisir.


Le regardant descendre l’allée qu’il avait, quelques minutes auparavant, empruntée, je restais un moment sur place. Tandis que le soleil du printemps chauffait ma peau, j’observais le jardin qui se vidait aussi vite qu’il s’était rempli. Les flâneurs et les promeneurs étaient remplacés par des personnes actives qui s’empressaient d’aller dans les amphithéâtres.


En parlant d’ardeur, juste avant de prendre le départ, j’aperçus du coin de l’œil un Grand Clerc qui courrait, coupant par de longues enjambées, les parcelles de fleurs afin de ne pas arriver en retard dans sa propre classe. Reconnaissant le professeur, je laissa un sourire effleurer mes lèvres.






Pour plus d’informations sur cette saga, n’hésitez pas à lire ou relire Frères de Savoriur où débute cette histoire et je vous dis à très vite.

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