15 Novembre 2020 - Ecrit par Emmanuel Bourgoin

FRERES DE SAVORIUR - CREATION :

La musique a une grande importance dans mon processus créatif.

    Je crois que je ne peux pas faire plus direct comme phrase introductive.

Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours travaillé en compagnie de la musique lors de mes séances d’écritures. Je devrais même dire que la musique est l’une des composantes essentielles qui m’ont aidé à accoucher de mes histoires sur le papier.

Alors précisément, quel rôle détient-elle ? M’influence-t-elle ou me sert-elle seulement d’outil ? Mon écoute est-elle hétéroclite ou s’arrête-t-elle sur un style bien particulier ? Et quel impact a-t-elle eu sur le roman : Frères de Savoriur ?


...


En voici donc une myriade de questions qui déboulent sans prévenir.

Afin d’y répondre, je vais cependant m’appliquer à vous présenter comment mon imagination travaille en collaboration avec les clefs de sol, les silences, les symphonies et tous ces noms italiens qui battent la mesure au point d’emmener mon esprit dans un pays imaginaire où les mots sonnent une histoire chantante.


    -Tout débute par une idée.


Cette idée qui tombe là, telle une comète dans un ciel obscure. Elle se plante dans le terreau de mon esprit pour commencer à germer. Son origine est bien mystérieuse. Produits de plusieurs réflexions, d’observations, d’essais, elle a le mérite aujourd’hui d’exister.

Elle me fait penser à cette rose dans le Petit Prince : fine fleur fragile, dont je dois m’occuper.

Certaines études annoncent que les plantes sont sensibles à la musique. Je peux effectivement prouver que c’est bien le cas en ce qui concerne mes idées.

Quand je constitue une histoire, ici un roman de fantasy, je définis d’abord la trame, je décide où et quand la narration va se passer, les personnages à exploiter et évidemment le ton du récit. Le squelette est posé.

C’est suite à ce premier processus que la musique fait son entrée.

Les musiques de film sont pour moi un véritable vecteur qui m’ouvre les perspectives supplémentaires sur les nuances de histoire ou le rythme de certains chapitres. Elles deviennent une sorte de complément ou de ciment qui m’aide à solidariser le squelette du récit en gestation.

Je suis amené à écouter ces musiques pour plusieurs raisons. La première, c’est que j’aime les symphonies qui s’y dégagent. Elles ont une harmonie, une narration qui m’accompagne dans le fil de mes pensées. Elles me font rêver et la technicité, ainsi que les formes employées, me touche personnellement.

La seconde raison, c’est qu’en inventant des récits assez visuels, ces musiques se retranscrivent dans ma production. L’association de musiques composées pour des films colle parfaitement avec mon style d’écriture. S’ajoutant à mon imagination, elles deviennent un ingrédient de recette de cuisine pour constituer un plat donnant à l’ensemble de mes mots une ambiance, des émotions, de l’action. Un élan de violon peut me mener directement sur le dos d’un dragon. Un cor accompagné d’une trompette peut ressembler à une approche de cavalerie, une flute à un sentiment d’éveil, etc., etc.

La musique de film me transporte hors du temps afin de me faire découvrir la pluralité. La diversité qu’un compositeur retranscrit dans ses morceaux peut être considérée comme une autre raison de mon affection pour cette approche musicale. Je trouve que ce genre de musique devient en quelque sorte intemporel, allant d’un style totalement classique à des expériences tout à fait nouvelles. Quand j’écoute le compositeur John Williams, je n’aborde pas les morceaux de la même manière que pour Hans Zimmer, Joe Hishaishi ou bien Yann Tiersen et Vladimir Cosma. Et que dire quand un auteur change de style ou d’approche selon le film sur lequel il travaille ? C’est cette multiplicité qui est riche, qui me transporte et me fait tenter d’écrire d’une façon ou d’une autre.


Plusieurs fois, il m’a été demandé si d’écouter de la musique faite pour un film ne bride pas mon imagination. Ma réponse a toujours été évidente en formulant une négative. Il est très facile pour moi d’extraire le corps de la musique de son contexte d’origine. Comme toute composition, elle est faite pour vivre de son propre envol trouvant au fil du temps nos sensibilités.

Je fais un peu comme ces chefs d’orchestre qui arrangent les morceaux originaux afin de les adapter à une nouvelle approche. Je les malaxe donc pour m’en imprégner, les épurer de toutes attaches terrestres et enfin les intégrer à mon écriture.


Cependant, en toute franchise, il y a certains morceaux qui sont complètement et intimement liés à leurs personnages cinématographiques ou au thème du film au point de créer une symbiose parfaite. Il m’est alors impossible de seulement penser sur des thèmes comme Indiana Jones, Danse avec les loups ou encore Psychose.

Mais à contrario, il m’est facile de m’évader sur des musiques travaillées pour le Roi Lion, Cloud Atlas, Conan, Comment dresser votre Dragon ou Princesse Mononoké. Cela n’a strictement rien à voir la qualité du travail du compositeur. Comme je l’ai expliqué, c’est juste la perception d’une identité. Comprenez qu’il me serait difficile de constituer une scène en écoutant le thème de Star Trek alors qu’il m’est facile d’imaginer une ambiance en entendant la musique de Le lion et le Vent pourtant composée par le même compositeur.


Dois-je alors dire que je subis la musique de plein fouet lorsque je débute la création d’une histoire ?

Comme je vous l’ai dit précédemment, la première étape que j’emploie pour créer un récit est de constituer son squelette. Ayant posé le fil conducteur, je laisse généralement l’histoire mûrir. C’est à ce moment que j’intègre la musique dans le processus de maturation. Gardez bien cela en mémoire, la musique n’est pas vitale pour ma recette de cuisine, mais c’est un ingrédient qui peut donner un goût différent à la finalité de l’histoire. Pour bien comprendre, remontons quelques années en arrière, à ces moments où le lecteur CD était le moyen le plus simple d’écouter de la musique.

J’y mettais alors des morceaux choisis au hasard de mes découvertes, me laissant porter par les mélodies qui attrapaient brusquement mon imagination au même titre qu’une conversation, qu’un couché de soleil ou d’un fou rire au coin d’une rue ; jusqu’au moment où l’une d’entre elles, m’amenaient à ressortir une idée de mes carnets, de ce squelette d’histoires, pour les travailler, pour les développer et même quelques fois les changer. La musique qui était un vent incontrôlé devient un véhicule m’aidant à modeler un ensemble de notions, d’appréciations, et d’argumentations.

Je vous disais aussi que j’extrayais la musique de film de son contexte pour travailler mes mots en collaboration avec elle. C’est ainsi que j’ai pu écrire un paragraphe se passant sur un marais gelé alors que la musique de Basil Poledouris situait le film en Inde.

Aujourd’hui, le processus est identique même si les CD sont souvent remplacés par le numérique.


    -Tout continue sur le choix d’écoute.


Comme certains d’entre vous ont pu le lire dans la postface du roman Frères de Savoriur, ce livre ne fut pas ma première expérimentation d’écriture dans la Fantasy. Avant de le publier, j’avais effectué plusieurs essais d’histoires se déroulant dans le monde de Milia Facia. L’un d’entre eux était particulièrement imprégné de musique... peut-être même un peu trop :).

Pour la petite anecdote, j’avais tenté d’intégrer des chansons, non pas en complément de l’histoire, mais en les assimilant dans le récit directement. J’entreprenais inconsciemment de créer un livre « musical ». Je peux dire avec le recul que l’idée n’était pas probante et que cette fois-ci, l’influence de la musique avait pris le pas sur mon travail. En toute honnêteté, il est quand même difficile d’imaginer des airs alors qu’il n’y a aucune musique à fredonner ! (dixit, mon lecteur test).

Cet épisode passé et rectifié, j’ai donc utilisé la musique comme un vecteur puis un outil. Ce qui m’amène naturellement au choix.

Après m’être rassasié de musiques, je coupe la radio et je fais un tri. Je regarde celles qui correspondent à ce que je veux raconter et puis j’écris.

En composant mon histoire, j’écoute en boucle l’album ou les morceaux qui concernent la scène en cours de construction. Cette spirale musicale s’arrête lorsque je passe à un autre chapitre, une autre partie, une autre ambiance ou un autre personnage.

C’est ainsi que je me retrouve avec plusieurs morceaux de musique ayant été écoutés pour la constitution d’une seule histoire.

Souvent, je me trouve surpris face à cette sélection. Je pourrai naïvement penser que je retrouverai mes classiques, ces morceaux que j’adore particulièrement. Cela arrive, évidemment, mais c’est toutefois assez rare. En fait, quand j’écris, une partie de moi est bien présente et une autre se fond plus dans les personnages, les situations, les lieux et donc est beaucoup plus loin de ce que je suis. C’est toute la beauté de l’écriture... être ainsi pluriel comme ces musiques, ces mots et les individus qui peuplent un roman.


Il est maintenant compréhensible de découvrir à la dernière page du roman Frères de Savoriur, l’importance que j’ai ressentie de vous notifier les albums écoutés lors de la constitution de ce livre. Ce n’était nullement une recommandation à prêter l’oreille à ces musiques alors que vous lisiez l’ouvrage (sinon, je l’aurai indiqué au début du livre et non à la fin). Mais plutôt à vous laisser faire une idée après avoir parcouru les aventures d’Aësmi et de Learbris.

Aujourd’hui, afin de mieux comprendre ma démarche, je vais tenter de détailler cette approche :

Commençons par l’album de Daniel Pemberton, King Arthur.

Au-delà du film, la musique fut une véritable claque. L’ambiance de celui-ci se calait parfaitement avec le peps que je souhaitais donner à certaines scènes d’action et à l’approche un peu électrisante des « monstres reptiliens ».

Il y a quelque chose d’écrasant dans cette musique comme ce danger non identifié qui plane autour des protagonistes et cet espoir qui fait toujours avancer les plus insignifiants pour en faire des héros. Les thèmes ont un côté redondant qui me prend au corps afin de me faire courir entre les mots, respirer fort et vibrer avec les événements. D’ailleurs, la scène finale du livre fut en partie composée suite à l’audition de cet album.

Je pense que c’est une musique que j’écouterai de nouveau pour arroser mes idées en gestation pour d’autres romans.

Continuons par Alien Convenant de Jed Kurzel.

Ce choix s’est basé sur l’approche mystérieuse, voire malsaine, que dégage cet album. Un côté qui fait transition avec les deux personnages principaux et qui m’a fait apparaître clairement le rôle de la Prêtresse (thème de The Convenant) et son voyage dans les limbes de son passé (morceau nommé : Incubation). L’album, comme pour ces films de genre, monte petit à petit en puissance, nous rendant essoufflés. C’est exactement l’esprit que je voulais donner à certains moments du récit, surtout quand apparaissait Irrarak, le Sorcier de Mellor-an.

Quand j’indiquais tout à l’heure que j’étais quelquefois surpris de mes choix, l’album de Ruper-Gresson Williams Wonder Woman en fait partit.

Au court des différentes versions d’écriture, j’ai pris la décision de remplacer les Hommes liges du capitaine Learbris par des femmes. Je trouvais l’approche beaucoup plus intéressante et elle me permettait de construire une relation beaucoup plus intime entre le capitaine et ses proches officiers. Comme ces trois Femmes Liges détenaient des caractères forts et pourtant si différents, il me fallait écrire sur une musique qui correspondait à ces personnages. Il m’est venu alors l’idée d’écouter l’album du film Wonder Woman, qui venait de sortir. Quoi de mieux qu’une amazone pour représenter l’esprit féminin et militaire ?

La musique joua parfaitement son rôle d’accompagnement surtout quand Estelle lutta contre le Sorcier Irrarak dans le palais de Savoriur.

Man of Steel de Hans Zimmer est une musique facette. Tout d’abord, elle avait un côté thérapeutique. Je pouvais écouter certains de ces morceaux afin de trouver un calme relatif dans les scènes que je souhaitais façonner. Cela me permettait de me rapprocher des personnages et faire ressortir leurs propres pensées. Les quelques notes de piano que l’auteur utilise par moment travaillent sur les émotions, sans pour autant dériver vers la nostalgie ou la tristesse. C’est une image assez forte que portait Aësmi, lui dont les sentiments amoureux étaient malmenés sans pour autant le faire tomber dans le désespoir.

Et d’un autre côté, cette musique prône des moments héroïques avec ses envolées lyriques comme le morceau « What are you going to do when you are not saving the world? » Je me souviens avoir écrit une scène sur ces notes expliquant comment Learbris arriva à se lever de son lit de convalescent alors que tout son corps était encore maltraité par le mur qui l’avait écrasé. Cette scène fut coupée du récit final. J’avais trouvé que le déroulement cassait le rythme donné malgré la beauté imposante de ce moment. Toutefois, c’est cette image de force brute qui transpire dans la présentation du capitaine lorsqu’on le découvre debout auprès de la Prêtresse, prêt à embrasser son destin.

D’autres instants musicaux sont à noter, comme le chapitre où des murs tombèrent des cieux et qui fut écrit en écoutant en boucle la piste baptisée « I will find him » et le morceau « Arcade ».

Alors que l’album de Kurzel amenait un côté un peu opaque, celui de Bruno Coulais Les Saisons avait le rôle opposé. Quand je l’écoutais, il m’invitait à prendre du recul sur mon écriture, à poser mes personnages pendant un moment pour les faire cogiter sereinement, ou encore à présenter la ville et les autres endroits du récit sans apporter de pression inutile. Cette musique était un peu mon évasion au fil du temps. Celle qui me ramenait doucement dans le réel par le passage des notes afin que je puisse reprendre ma respiration avant de replonger en apnée dans la frénésie de l’écriture.

40 Years of Film Music est une compilation dédiée à Jerry Goldsmith de quatre heures et quarante cinq minutes. C’était parfait question temps quand je souhaitais travailler d’un bloc avant de faire une première coupure. Mais au-delà du temps cumulé de ces quatre CD, je trouvais très intéressant d’écouter la musique de ce grand maitre pour son approche de choix instrumentale engendrant un résultat qui m’a toujours fasciné.

L’ensemble de ces morceaux phares étant ainsi catalogués, je pouvais me rendre compte des différents styles qu’il employait selon les époques tout en restant cohérent avec l’intégralité de sa production. C’était pour moi une mine d’or. En effet, l’écriture de Frères de Savoriur se basait sur trois parties majeures avec un effet d’entonnoir qui précipite le lecteur vers la fin du récit. La structure de narration se trouvant modifiée au fil des chapitres, je me devais de garder une cohérence tout le long du roman afin de ne pas perdre le lectorat.

La composition de ce recueil de morceaux présentés chronologiquement m’aida fortement à maintenir une ligne de conduite, structurant complètement le roman.

Enfin, la musique du documentaire sur Steve Mac Queen American Icon de Bret McCorkle. Cet album fut exclusivement écouté pour composer la postface. Il n’avait aucunement été entendu lors du travail préparatoire du roman. D’ailleurs, je n’avais pas envisagé, au début, d’écrire une postface.

Quand le sujet arriva dans la discussion, l’exercice me paraissait compliqué. Parler de soi, de son travail, du résultat de son œuvre, ou même de la musique que j’avais écoutée n’était pas, croyez- moi, chose si facile. Pourtant, me diriez-vous, je venais d’écrire un roman... Mais vous comprenez bien que les deux exercices n’avaient rien à voir même si c’était encore la musique qui m’aiguillonnait sur le bon chemin.

Pour débuter la postface, cet album m’était apparu comme une évidence. Je l’avais découvert depuis peu sans avoir visionné le documentaire qu’il accompagnait. J’ai de suite accroché et il fut incontestable pour moi que cette musique allait me suivre dans cette nouvelle phase d’écriture. Le fait qu’elle soit composée pour un documentaire m’aida à trouver une narration différente de celle du roman. J’écrivais au rythme de cette musique donnant une impulsion propre à mon explication concluant ainsi la dernière phrase de la postface sur le final du score.

-En conclusion,


Quand Frères de Savoriur fut terminé, j’ai reçu la première impression test à mon domicile. Le soir même, alors que je la feuilletais presque religieusement, une musique passa dans les hauts parleurs de la chaine hifi. C’était le morceau de Marc Streintefeld nommé « Life ». Tenant là dans ma main mon premier roman, je trouvai cette coïncidence appropriée.

« Life », cette vie qui prenait possession des pages où l’existence grouillait d’aventures, de paysages et de cultures si diverses. Cette musique soulignant la naissance « physique » de Milia Facia sous le son d’un cor solennel reposant sur un fond tenu de cordes latentes accompagné par l’apparition d’un chœur de voix faisant battre le cœur du livre.

Alors oui, la manifestation de cette musique en ce moment précis ne pouvait qu’être pertinente.

Il est maintenant vain de répéter l’importance que la musique a pour moi et, par conséquent sur l’approche de mon travail d’écriture. Elle fait partie de mes idées, de mes mots, et lorsque vous lisez mes récits, vous ne pouvez que l’entendre... Même indirectement. Comme vous pouvez ouïr le silence entre les notes, car il m’arrive aussi d’écrire sans musique... oui, oui !

Peut-être qu’un jour, une musique sera composée pour mes histoires. Je dois vous faire une confidence sur le sujet... c’est un peu l’un de mes rêves.

L’expérience a déjà eu quelques soubresauts. Il y a quelques années, un essai avait été réfléchi. Et quelle ne fut pas ma surprise quand un lecteur de Frères de Savoriur m’envoya dernièrement une composition de son invention, m’offrant ainsi son inspiration musicale suite à la découverte du roman.


Alors je dis... pourquoi pas et à suivre...

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