17 Avril 2021 - Ecrit par Emmanuel Bourgoin

FRERES DE SAVORIUR - CREATION :

Retranscription complétée de l’entretien du 27 mars 2021 d’Emmanuel BOURGOIN par Camille CHUQUET

à la Médiathèque Aragon. ( Part 1 )

Il est habituel d’entendre que la vie se compose d’une grande partie de rencontres, de hasards ou de moments clés qui font que, d’un seul coup, quelque chose se déclenche.


Certains y croient fortement, d’autres parlent que de coïncidences. Pour ma part, j’aime appréhender le sujet comme des petites facettes de nos choix qui, s’accumulant, bâtissent des routes débouchant sur événements plus qu’intéressants.


C’est en suivant l’un de ces sentiers pavés d’or qu’un jour Valérie Millet (responsable du développement des publics et des partenariats Réseau des médiathèques de la Mairie de Choisy-le-Roi) décida de parler de « Frères de Savoriur » à ses collègues. Et de fil en aiguille, je fus alors contacté par Camille Chuquet (référente Littérature Adulte Réseau des médiathèques de la Mairie de Choisy-le-Roi) en octobre pour me proposer une rencontre avec le public de la médiathèque prévue au mois de mars à la médiathèque Aragon.


À cause de la crise sanitaire due à la Covid, la préparation de l’événement ne fut pas simple. Toutefois, l’équipe de la médiathèque trouva à chaque fois des parades pour que celle-ci soit réalisée dans les meilleures conditions. Le programme de l’événement est bien publié en janvier avec une photo de votre serviteur prise par le photographe Bruno Arbesu. La classe (narf).

Évidemment, il n’était plus question de faire une rencontre directe avec le public, mais derrière nos écrans (toutefois, toujours en Live sur You Tube).


C’était donc en ce jour du 27 mars 2021 à 15 h que j’avais rendez-vous à la Médiathèque avec Camille Chuquet pour une série de questions-réponses devant la caméra d’un ordinateur.


Bon, je vous fais fi de la problématique de transport qui faillit me faire arriver en retard et je me dois de vous parler quelques secondes de la médiathèque Aragon en elle-même.

Quelle belle surprise ! Déjà du point de vue architectural. En forme de proue et longue de 22 mètres, elle impressionne de l’extérieur comme à l’intérieur. Mais comme le physique n’est pas seulement le cœur de l’attachement, je me dois aussi d’avoir été agréablement accueilli par les équipes qui y travaillent. Cela fait un réel plaisir de découvrir des lieux comme celui-ci où la culture est abordée sous bien des angles de façons ludiques et aussi sérieuses.


Bon... Il est 15 h. Commence alors l’entretien en Live.


Si certains d’entre vous ont suivi l’événement (et je vous remercie grandement de votre fidélité), vous avez sûrement remarqué un petit problème technique concernant le son. Ce n’est pourtant pas suite à cet incident mineur que j’ai décidé, pour ce « Made In » de vous retranscrire l’entretien.


Mon objectif est de compléter les réponses qui ont été données lors de l’entretien (sans toutefois modifier la teneur de ces dernières). C’est comme une sorte de bonus ou un director’s cut juste pour vous. En effet, je trouve pertinent et important de vous transmettre les informations dans leur globalité afin d’aborder, de façon exhaustive, mon cheminent dans l’univers de l’écriture.       




Voici la première partie de cet entretien.

Bonne découverte à vous tous.


Il est donc bien 15 heures ce 27 mars 2021. Après une introduction et une présentation bien détaillée de votre serviteur, Camille CHUQUET pose la première question :


L’univers de Milia Facia est extrêmement riche et construit, avec son bestiaire, sa géographie, son artisanat. Depuis combien de temps ce projet mûrit-il dans votre tête ? Pouvez-vous revenir sur la genèse de l’œuvre ? Est-ce l’univers qui induit l’intrigue ou l’intrigue qui génère l’univers ?


Emmanuel BOURGOIN:


Vu mon âge actuel, je peux dire que ce projet mûrit depuis fort fort longtemps. J’avais à peu près dix-huit ans quand cela a commencé à vraiment me travailler.

Ce projet s’est imposé comme une évidence, une nécessité. Celle d’écrire. Écrire une histoire, la raconter, mais aussi la partager.

Après un peu de recul, je pense que la genèse de l’univers de Milia Facia est le fruit d’une sorte de trop plein. Un trop-plein venant d’une accumulation, positive, de lectures que proposait l’école, mais aussi celles qui m’attendaient sur les étagères des bibliothèques parentales. À cela s’additionnait la culture cinématographique, qui était pour moi un autre canal formidable qui avait aussi pour rôle de me raconter des histoires.

C’est en entrant dans l’adolescence, que mes goûts se forgèrent et que mes préférences allèrent vers l’imaginaire.

Je me souviendrai toujours de ce jour au mois de juin, j’étais en seconde. Je venais de terminer la lecture d’une rédaction que j’avais fais avec l’un de mes camarades en cours de français quand un élève de ma classe, avec qui je n’avais aucun atome crochu, me donna son livre de poche.

Ce livre, c’était Bilbo le Hobbit de JRR Tolkien. En me le confiant, il m’a dit ceci : « Ça, c’est ton univers ! »

J’avoue que j’étais intrigué. J’ai lu le livre, ou plutôt, je l’ai dévoré. J’avais adoré et il était donc hors de question de m’arrêter en si bon chemin. Je me suis déjà précipité sur le Seigneur des Anneaux, mais aussi sur d’autres auteurs comme David Eddings, Anne Mc Caffray, Moorkcok, mais surtout, je ne pouvais que confirmer ce que cet élève avait dit.

Oui... la Fantasy était mon univers et ce fut à partir de ce moment là que l’envie de raconter des histoires s’imposa à ma personne.

J’étais prêt à me lancer.

En ce qui ce concerne la création de mon univers, j’ai trouvé très vite trouvé mon personnage principal, pour ne pas dire que c’est lui qui m’avait trouvé, ainsi que le cœur même de l’intrigue qui allait être présentée.

Concernant le monde même de Milia Facia, ce fut un autre travail.

Je voulais en faire un monde fantastique, voire un peu merveilleux, mais aussi très humain. Je voulais un univers où tout fonctionne en symbiose. Pas seulement un monde de mythologies, ou de grands espaces s’ouvrant à l’aventure, mais un univers où la présence des nations humaines devenait presque naturelle en ces lieux.

Je voulais un monde crédible. ( Nous ne sommes ni dans Narnia ou Legend ) Je souhaitais aussi faire de Milia Facia un univers aux multiples facettes (d’où son nom).

Il m’était force de constater que la nature qui nous entoure est d’une telle pluralité qu’il m’était devenu facile de dire la même chose des êtres humains : de par nos cultures, nos positions géographiques, etc. Et même pour aller plus loin, j’ai considéré l’individu en lui-même comme est un agglomérat de facettes qui, telle la nature, évolue au cours de sa vie.

Alors maintenant, ayant rassemblé tout cela, marqué beaucoup de notes dans mes petits carnets, m’étant documenté, m’aidant de mes cours universitaires d’histoire médiévale, essayant de comprendre comment tels ou tels animaux pouvaient vivre dans telles ou telles régions, comment tel artisanat était-il plus crédible en cet endroit plus qu’un autre, je pouvais poser la carte du monde.

Au début, elle se restreignait à suivre l’intrigue. Le personnage arrive là, puis arrive là et que trouve-t-il à ces points-là ? Très vite, je m’aperçois que cela a ces limites et je me suis rendu compte, après plusieurs discussions avec des proches, que je devais aborder le monde dans son ensemble, de façon macro, pour ne pas le limiter à l’intrigue principale. Et c’est à ce moment que la scission entre l’univers de Milia Facia et l’histoire qui s’y déroulait s’effaça. Le monde de Milia Facia était autant un personnage que les héros du récit. Chacun à leur façon, induisait à l’autre une adaptation, comme une sorte d’éternel renouvellement, tout en gardant, évidemment, l’objectif du récit à raconter. ( Pour info : Un Made In sera prochainement dédié à la création de la carte en Fantasy )

Après plusieurs mois d’écriture, je me retrouvais avec plusieurs tomes qui composaient une saga. Cette dernière pouvait peut-être faire peur aux éditeurs de par sa masse, mais aussi par la fluidité de son récit. Donc, était-elle publiable en l’état ?

Je ne le pensais pas et c’était pour cette raison que je l’ai laissé pendant quelques années macérer. Je revenais dans ce monde régulièrement, réécrivant certains passages mais sans réellement trouver une approche satisfaisante jusqu’au jour où, suite à une discussion, j’ai décidé de raconter non plus l’intrigue dans sa globalité, mais une des histoires, qui se déroulerait sur ce monde, tout en étant rattachée, évidemment, à l’intrigue principale.

Je repassais du côté macro au côté micro tout en ayant une somme de connaissance du monde que j’avais créé et que je ne possédais pas avant. Ce fut donc pour moi assez facile d’aborder ce nouvel exercice d’écriture. Ainsi naquit l’histoire de Frères de Savoriur. Une histoire dans une histoire pouvant tout à fait être lue indépendamment.



Camille CHUQUET :


On sent que vous travaillez beaucoup vos personnages. Les deux Frères de Savoriur Aësmi et Learbris sont très différents et pourtant, ils ont beaucoup en commun. L’un est grand clerc, professeur d’université. L’autre a choisi de s’engager dans la garde royale. Ils ont cependant reçu la même éducation et font preuve de la même témérité face à leur père, ils partagent le goût de l’absolu, l’un en écrivant des romans, l’autre en rêvant de devenir grand voyageur. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos deux héros et sur la façon dont leur dualité structure votre histoire ?



Emmanuel BOURGOIN:


Il est important pour moi de définir des personnages cohérents (surtout s’ils sont singuliers) tout comme l’univers dans lequel ils gravitent.

Quand j’ai travaillé ces deux personnages, ces deux frères, je me suis posé cette question :sommes-nous relativement identiques alors que nous venons du même noyau familial, recevant la même éducation ?

Certaines études sociologiques, psychiatriques, nous amènent à dire « oui » du point de vue global. Appuyant cependant sur l’importance de ce fameux « moi » qui nous définit en tant que personne propre. On a les mêmes bases, mais nous sommes différents.

Devais-je alors considérer cet état de fait comme un paradoxe ou comme une complémentarité ?

Je trouvais ce point de vue très intéressant. Parce que déjà, il est tout autour de nous. Nous avons des frères, des sœurs, nous appartenons à une famille avec son éducation et ses points de vue. Et nous sommes « nous ».

C’est ce « nous » que je voulais transfuser dans l’âme de ces deux personnages. Ce « nous » plein de contradictions inconscientes qui nous amène à nous révéler tels que nous sommes à un moment donné de notre vie.

Alors, ces personnages, sont-ils vraiment différents ?

La première réponse que je pourrai donner est « oui », évidemment.

Physiquement d’abord, dès le départ du roman Learbris et Aësmi sont décrits comme deux personnes n’ayant pas la même stature. Ce physique, d’ailleurs, qui semble les prédestiner à devenir ce qu’ils seront plus tard, à juste titre ou non. Toujours dans le prologue du livre, leurs échanges verbaux, les défini aussi... mettant ces personnages dans des cases.

D’un côté, nous avons l’universitaire. De l’autre, le militaire.

La plume et l’épée... le duel est classique.

Cependant, plus le lectorat progresse dans le roman, plus il doit se rendre compte que ces deux personnages sont un peu plus complexes que la façade préalablement présentée.

Prenons, Aësmi. C’est quelqu’un qui aime remettre les choses en cause, pour faire avancer les sujets qui le touchent. C’est quelqu’un qui est vu comme une sorte anticonformiste et d’ailleurs, ses enseignements démontrent sa façon de penser. Son attitude amène un conflit d’idée. Cependant, quand il a fallu qu’il s’oppose à son père pour ses études, il a feinté pour arriver à son but. Il n’est pas allé au conflit comme il ne va pas au conflit ouvert avec l’université dans laquelle il travaille. Une université qui paradoxalement lui ressemble, prônant des idées d’ouvertures, tout en gardant un côté très conformiste. Aësmi a aussi cette réputation de plaire, de bien des façons à ces élèves et aux gens qui l’entourent, pourtant il est un amoureux transi, mais frustré, car il fait face à un amour impossible. Encore un exemple : Aësmi porte le titre de Grand Clerc et c’est le cousin du roi. Il est bien vu. Pourtant, il ne porte comme vêtement que sa bure d’universitaire, habite une petite demeure et est considéré par son ami le majordome comme une personne presque irresponsable. Etc. Etc.

En ce qui concerne Learbris, on retrouve le même cheminement. Enfant, c’est quelqu’un de frontal, qui s’oppose à la décision parentale au point de créer une rupture. Il ne supportait pas l’imposition de choses. Pourtant, il rentre dans l’armée; là où l’ordre et la mesure sont une devise. Lui qui voulait parcourir des contrées lointaines et s’effacer de la vie mondaine se retrouve à porter les armes de la Garde Étincelante. Étincelante... il n’y a rien de plus voyant, non ? Autre chose, lui qui vit dans le conformiste de sa fonction publique vit une vie amoureuse hors norme. Etc. Etc.

Si on fait une photo, à ce moment-là, de ces deux personnages, je ne peux plus dire qu’Aësmi et Learbris sont si différents, mais je dirais qu’ils sont plus complémentaires. Ce que l’un cherche, l’autre le possède. Cele ne se voit pas de façon flagrante, d’ailleurs c’est pour cette raison que les deux frères ne se fréquentent que peu, car ils sont en quelque sorte comme le lectorat, aveugles de ce qu’est l’autre. Puis, quand l’un et l’autre découvrent ce point commun qui les anime, cet absolu qui les oblige à être eux-mêmes, il se retrouve un peu quelque part en leur frère.

C’est en avançant seul, ensuite en complémentarité puis en duo que ces personnages font avancer l’intrigue maintenant ainsi la structure du roman. Et ces personnages sont fidèles à l’idée du monde où ils habitent, car ils ont en eux une multitude de facettes.



Camille CHUQUET :


Pouvez-vous nous parler de vos influences, de vos références, des auteurs, des films et peut-être même des jeux vidéo, qui ont influencé votre roman ?



Emmanuel BOURGOIN:


Je vous citais tout à l’heure des auteurs comme Tolkien (pour l’ensemble de son œuvre), Eddings (pour son cycle de la Belgariade et de la Malloré)... Je peux aussi nommer les œuvres de Weis et Hickman (pour Dragonlance), Gemnell (pour l’ami Druss), Ursula le Guin ou Terry Brooks.

Leurs mondes de Fantasy sont une énorme découverte, qui me ravit, qui m’émerveille, qui me donne envie d’évoluer dans leur monde en tant que lecteur, mais pas en tant qu’auteur.

En tant qu’auteurs, ils me montrent, voire ils me donnent un chemin vierge à cultiver. Leurs influences, je les considère plus comme (en toute modestie) une sorte d’héritage. Par exemple, je ne pense pas à Galadriel en créant un personnage par contre, j’essaye de donner naissance à un personnage aussi charismatique que Galadriel tout en étant différent. Ces auteurs m’ont beaucoup inspiré pour « Frères de Savoriur ».

En parlant de références, je pense aussi à Chrétien de Troyes et Jean Markale. Le mythe Arthurien faisant parti des mes gènes, il serait difficile de dissocier « Frères de Savoriur » de cet univers. D’ailleurs, le personnage imaginaire de Percelot, que racontent les ouvrages écrits par Aësmi, est un patronyme entre Perceval et Lancelot, c’est pour dire.

Mes influences ne s’arrêtent pas à une œuvre en sa totalité, mais aussi sur des moments. Juste ces petits présents, que l’on peut retrouver de façon bien cachée dans la narration de « Frères de Savoriur » comme une description m’ayant fait entendre au loin la prose du poète Christian Bodin !

Il y a aussi Despentes et du Douglas Kennedy pour leurs approches brutes et travaillées sur les personnages.

L’idée d’une chanson pêchée dans le répertoire de Peter Gabriel, dont l’interprétation de « Heroes » (chanson de David Bowie) en version orchestral m’a aidé à aborder ce qu’Aësmi pouvait ressentir pour Amélie.

La peinture de Turner, pour ces ciels et la texture de ses tableaux, m’aide à réfléchir sur la façon de construire quelques passages narratifs.

La bande dessinée « Siegfried » d’Alex Alice fut une véritable influente qui me fit travailler, par la découpe de ses cases et sa façon de raconter l’histoire, à imaginer la narration de « Frères de Savoriur » telle que nous la connaissons aujourd’hui. ( Je conseille à tous de regarder la bande annonce de « Siegfried » qu’Alex Alice avait fait dans le projet de transposer sa bande dessiné en animation.)

Il y a aussi des essais sur le bien-être de Frédéric Lenoir ou de Christophe André, mais aussi une approche sur la résilience de Boris Cyrulnik qui furent aussi du voyage.

À chaque fois où je suis surpris, où l’un de ses auteurs me fait cogiter, cela devenait une brique destinée à « Frères de Savoriur » ou à plus grande échelle, à l’univers de Milia Facia.

Concernant les jeux vidéo, un seul a accompagné, et de loin, la création de « Frères de Savoriur ». De loin, car l’identité des jeux leur est tellement propre qu’il m’est difficile d’en tirer de petits éléments... sauf quand je plonge dans les Arts Book qui leur sont consacrés. Ce fut le cas pour les jeux Zelda qui sont de véritables mines d’or d’approche visuelle et de raisonnements qui m’amène à réfléchir et travailler sur la construction des diverses sociétés habitants les terres de Milia Facia.

Et il y a le cinéma... et plus particulièrement celui des années 80, voire 90 (Films comme animations). Ce n’était pas les histoires contées dans ces films qui m’intéressaient en soi concernant « Frères de Savoriur », mais la façon dont ces films étaient réalisés. J’ai un grand attachement pour le visuel et je tente de retranscrire celui-ci dans mon écriture même, donner un genre de mouvement à la narration. Quand j’écris une scène que vais raconter, cette dernière a été visualisé une multitude de fois dans ma tête. Je vois les angles d’approches changer, la caméra bouger, le vent souffler dans les capes et des inserts laissant une porte claquer aux vents. Cela m’aide à poser la narration, le rythme, les personnages. J’en profite pour effectuer un merci particulier à monsieur Spielberg pour ces approches.

D’ailleurs, certains lecteurs m’ont remonté qu’il avait ressentis dans les aventures des « Frères de Savoriur », un côté Indiana Jones. Je fus le premier surpris de ce ressenti, car je n’arrivais pas à cibler leurs approches, mais je dois avouer que le gamin en moi ne boudait pas son plaisir.

Tout à l’heure, je parlais d’Art book pour les jeux. Mon approche est la même concernant les films. Là encore, je trouve plein de matières qui m’aident à avancer. Pour « Frères de Savoriur », ce fut l’Art Book de Terremer, une animation de Goro Miyasaki adapté du cycle éponyme d’Ursula le Guin. Pour la petite histoire, je feuilletais ce livre chez l’une de mes cousines quand je suis tombé sur des recherches de bâtisses en ruines en pleine lande. J’ai reçu comme une claque ! Là, en quelques secondes, alors que le monde continuait à tourner comme si de rien n’était, j’inventais la scène des « murs » de « Frères de Savoriur ». Je n’en dis pas plus, pour ne pas spolier ceux qui ne l’ont pas encore lu.

Enfin, il y a les œuvres, qui n’ont pas de rapport direct avec « Frères de Savoriur », mais dont la présence est incontournable. Sans eux, je pense que mes rêves auraient été amputés, tuant dans l’œuf la naissance même de mon roman.

Tout de vrac, je site le Petit Prince de Saint Exupéry, l’Odyssée d’Homère, Cyrano de Berjerac d’Edmond Rostan, l’œuvre de Dumas et de Jules Vernes.



Camille CHUQUET :


J’ai beaucoup pensé à la légende arthurienne et à l’essai de Joseph Campbell sur les mythes, en lisant votre roman. Aësmi et Learbris viennent au monde dans des conditions mystiques, liés par un pacte de sang, sous la protection d’un étrange voyageur. On comprend qu’ils sont élus, comme Arthur, et le héros mythologique de Campbell. Ils sont ensuite entraînés dans une quête pour sauver Milia Facia, qui implique des artefacts symboliques un peu comme le Graal, des personnages ressources, des aidants, des antagonistes, et un dépassement de soi. Le roman fantastique doit-il répondre à certains codes ? Est-ce qu’il faut nécessairement tuer l’ego du héros fantastique afin qu’il puisse apporter quelque chose d’universel ?



Emmanuel BOURGOIN:


Le roman fantastique a effectivement des codes qui semblent immuables, car il se base sur les mythes. Tout à l’heure, je vous ai parlé de mes références concernant le cycle arthurien. Quelles que soient les versions présentées (je citais Chrétien de Troyes et Jean Markale, mais on peut lire aussi les excellentes versions de Marion Zimmer Bradley ou de Guy Gabriel Key qui revisitent le mythe à leur façon ou encore à regarder le film de John Boorman ou celui de Guy Ritchie), on y trouve des divergences sur des faits, où les approches sont totalement différentes, mais on remarque toujours l’existence de ce socle commun qui lance le héros dans une quête. Que celui-ci soit de telles ou telles nations, qu’il supporte telles ou telles fonctions ou qu’il vivent dans telle ou telle époque, le héros accomplit une sorte de voyage (intérieur comme extérieur) que l’on nomme initiatique et qui l’amènera vers d’autres horizons, mais aussi très loin de lui même. Frondo, dans le Seigneur des Anneaux, est le type même de ce héros. Après avoir été forcé à partir à l’aventure (comme Bilbo l’avait fait avant lui), il est revenu de son voyage changé au point de ne plus pouvoir vivre dans la Contée et suivre à la toute fin Gandalf pour voguer à l’ouest, pour le Valinor.

Le prélude de ce voyage est soit lié à une injonction extérieure ou à une nécessité intérieure d’aller accomplir cette quête. Ce départ est régulièrement synonyme d’arrachement et de tragédie obligeant le héros à subir sa destinée. Vous savez, quitter son confort quotidien pour se jeter à l’aventure, ce n’est pas chose facile. Dire « oui » à l’aventure surtout quand elle est imposée, c’est même compliqué.

Après être parti, avoir quitté son foyer et sa contrée, le héros se retrouve en territoire totalement inconnu, voire hostile. On peut y voir dans « Frères de Savoriur », l’avancé de Learbris dans les Montagnes Givrées. De son côté, le voyage d’Aësmi est plus métaphysique. Il me fait penser à cette légende celte sur les chevaliers du Saint Graal qui doivent traverser une forêt sans sentier. C’est cela, le chemin des héros : s’avancer vers l’inconnu où aucune route n’est tracée. Là, en cet endroit patientent les épreuves à passer. Ces épreuves qui seront la base de son initiation.

Il faut noter que le héros est rarement seul lors de son périple. Il s’entoure de mentor, d’ami ou même d’ennemis. Mais c’est seul qu’il doit affronter sa peur, s’adapter à l’évolution de sa quête (qui est loin d’être prévisible) afin de faire le bon choix : celui de la métamorphose qu’il doit opérer pour sortir vainqueur de son voyage.

Le résultat n’est pas souvent agréable pour le héros. Il réussit, mais à quel prix ? Au prix de son ego, de ce qu’il était avant.

Vous parliez de John Campbell. Celui-ci disait que les héros revenaient dans leur société pour partager leurs connaissances.

Le gain de l’aventure n’est-il donc pas plus bénéfique pour la communauté que pour le héros lui-même ? Cela expliquerait-il pourquoi l’inconscient collectif, tel que Jung le définit, voit la quête du héros comme une base universelle amenant un changement bénéfique pour la société, mais seulement porté que par le héros.

Comme vous l’avez remarqué, dans « Frères de Savoriur », cette logique s’applique. On y voit deux chemins différents qui sont empruntés par Aësmi et Learbris, car les deux héros abordent leur quête sous des approches différentes. Que vont-ils découvrir ou mieux, devenir... pour ça, il faut lire le roman.



Vous trouverez la suite et la fin de cet entretien dans le prochain « Made In ».


A très vite et ... 

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